Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non

En mars dernier, lors de la première vague de la pandémie, j’ai vécu une mise à pied temporaire à titre d’entraineure, le secteur de l’entrainement ayant été mis sur pause. Dans ce contexte de restrictions, j’ai décidé de partir en voyage. Un voyage vertical. Dans mon salon. Au cœur de moi-même. Durant cette période, interpellée par le stoïcisme, une école de philosophie fondée aux alentours de 300 avant J-C, je me suis joint au groupe Stoïcisme contemporain (stoa gallica), pour participer aux échanges sur le sujet. 

Depuis, j’ai eu l’occasion de mettre en pratique deux principes issus du stoïcisme. Ils m’ont fait beaucoup de bien et je les ai ajoutés dans mon coffre à outils pour mieux vivre. C’est une pratique à renforcer, certes, car la philosophie stoïcienne appelle à une attention permanente au quotidien. 

Je cite à ce sujet, Maël Goarzin dans La nécessaire mise en pratique de la philosophie stoïcienne : «  Faire de la philosophie, c’est vivre en philosophe, vie philosophique qui se concrétise, par exemple, dans l’attention quotidienne à nos jugements et nos choix, qui dépendent de nous, et dans le détachement progressif vis-à-vis des biens matériels dont nous nous servons et des événements extérieurs qui surviennent quotidiennement et qui ne dépendent pas de nous. Cet appel à la philosophie comme mode de vie, l’appel à dépasser le discours et à mettre en pratique les principes philosophiques auxquels on croit, n’est pas propre à la philosophie stoïcienne, et se retrouve dans la plupart des philosophies antiques. Cependant, les philosophes stoïciens expriment cet appel de manière très forte et surtout de manière insistante : « Si ce que tu as étudié, tu n’es pas capable de le faire passer dans la pratique, à quelle fin l’as-tu étudié ? » (Épictète, Entretiens, I, 29, l. 35). » 

Voici donc les deux principes en question (les deux citations plus bas), tirés du Manuel d’Épictète, né en Phrygie (aujourd'hui, nord-ouest de la Turquie) vers l'an 50 et mort vers 130.

« Quand tu te prépares à faire quoi que ce soit, représente-toi bien de quoi il s'agit. Si tu sors pour te baigner, rappelle-toi ce qui se passe aux bains publics: on vous éclabousse, on vous bouscule, on vous injurie, on vous vole. C'est plus sûrement que tu feras ce que tu as à faire si tu t'es dit: « Je vais aller aux bains et exercer ma liberté de choisir en accord avec la nature. » De même pour toutes tes autres tâches. Car, ayant fait cela, s'il arrive quelque chose qui t'empêche de te baigner, tu auras la réponse toute prête: « Je ne voulais pas seulement me baigner, mais exercer ma liberté de choisir en accord avec la nature; si je me mets en colère à cause de ce qui m'arrive, ce ne sera pas le cas. » 

Des discussions avec des membres de la communauté de Stoïcisme contemporain (stoa gallica) m’ont permis de mieux écrire sur ce concept car, pour moi, la compréhension passe souvent d’abord par la capacité de mettre en mots, puis ensuite par l’action. 

Il s'agit donc d'anticiper tout ce qui pourrait arriver dans telle ou telle situation, afin d'être psychologiquement préparée. Par exemple, si je prends ma voiture pour me rendre d'un endroit à un autre, je peux envisager différentes situations possibles, c'est à dire : des embouteillages, un accident, une panne, percuter un animal sauvage, etc. Il s'agit de me mettre dans la bonne disposition d'esprit par rapport à ce qui pourrait se produire considérant l'activité que j’envisage de faire. Ces événements, même s'ils m’empêchent de réaliser ce que j’avais envisagé initialement, sont conformes à l'activité en elle-même, et donc je ne devrais pas être surprise qu’ils puissent se produire. L'anticipation ôte la surprise et donc réduit le risque de réagir de manière inconvenante en oubliant que le bon déroulé de l'activité en elle-même ne dépend pas de moi, mais que seul le fait d'avoir un jugement adéquat (et la réaction qui en découle) en regard de la situation présente dépend de moi.

Ce n’est pas dire « je le savais, c’est encore arrivé, ça m’énerve ». C’est dire « c’est là ».  Puis, se demander ce qui dépend de nous, pour mettre l'emphase sur ce que nous pouvons contrôler : notre  jugement, notre réaction, nos émotions. 

Les premières lignes du Manuel posent cette distinction fondamentale : « Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d'autres non. De nous, dépendent la pensée, l'impulsion, le désir, l'aversion, bref, tout ce en quoi c'est nous qui agissons; ne dépendent pas de nous le corps, l'argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n'est pas nous qui agissons. »

Cette distinction me rappelle que, plutôt que de me lamenter sur ce qui ne dépend pas de moi – l’existence du virus, la limitation des déplacements ou la menace d'une crise économique par exemple – je dois faire ce qui dépend de moi. 

Pour moi, il s’agit d’une opportunité de garder le contrôle alors que tout peut sembler se dérober. D'agir au mieux pour ce qui dépend de moi et d'être mieux présente à ma vie. Il s’agit aussi de ne pas m’épuiser en vaines luttes (et être contrariée, tourmentée, chagrinée) en essayant de contrôler ce qui est hors de mon contrôle. 

Je reste active, j’ai trouvé un nouvel emploi qui me procure une plus grande stabilité, je continue de me protéger face au virus, j’agis pour prendre soin de ma santé mentale, je lis, je m’occupe de mon fils avec amour, je reste positive, je m'alimente bien, je nourris mon besoin de contact autrement, je limite mes dépenses, je mets davantage mes limites face aux lamentations des gens qui ne font pas la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous pour ne pas me laisser entrainer dans leur brouillard.  Je garde en tête aussi cette mise en garde : "Si nous ne réfléchissons pas nous-mêmes à ce qui nous rend vraiment heureux, nous devons savoir que d’autres le font à notre place, et nous tomberons forcément dans les pièges d’un bonheur factice, jetable, de consommation." Et je pratique le plus souvent possible la gentillesse. "Le bonheur, c’est une richesse qui impose à la fois un devoir de réserve - pour ne pas blesser ou offenser les autres - et un devoir de partage : redonner à autrui un peu de ce qui nous rend heureux. C’est d’autant plus facile que le bonheur ne rend pas égoïste, bien au contraire. Et inversement, il est même prouvé que les comportements altruistes augmentent le bonheur de ceux qui les émettent. Plus on devient bienveillant, patient, à l’écoute, tolérant, altruiste, reconnaissant, plus on est heureux et plus on rend les autres heureux." Ces deux dernières citations sont de Christophe André dans : Rencontre avec le psychiatre Christophe André. « Ouvrir les yeux sur ce que notre vie a de bon » 

Je suggère d'ailleurs l'écoute de cette courte méditation stoïcienne de l'archer par Christophe André pour compléter la lecture de cet article (3min53). 





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